Les rayons gamma dissipent le brouillard intergalactique

La découverte de deux quasars lointains en rayons gamma implique que l'espace intergalactique est plus transparent à ce rayonnement que l'on ne le pensait auparavant

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Les chercheurs du CNRS (laboratoires IN2P3 (1) et INSU (2)) et du CEA-Dapnia (3), dans le cadre de la collaboration internationale H.E.S.S., viennent d'annoncer que notre Univers est plus transparent aux rayons gamma que l'on ne le pensait auparavant. Ce résultat a été obtenu suite à la découverte, grâce aux télescopes H.E.S.S. installés en Namibie, de l'émission gamma de très haute énergie de deux quasars (galaxies actives) lointains. Les rayons gamma (voir encadré), produits au sein de ces objets qui sont à l'origine des phénomènes les plus violents du cosmos, peuvent être absorbés, lors de leur périple depuis leur source jusqu'à la Terre, par les photons de la lumière diffuse proche du visible. Ce brouillard de photons dans lequel baigne l'Univers entier constitue la trace fossile et l'accumulation de toute la lumière produite, depuis celle des premières étoiles et galaxies jusqu'à nos jours. En utilisant les rayons gamma émis par les quasars lointains comme sondes de l'espace intergalactique, et en étudiant l'effet de la lumière fossile sur la distribution énergétique de ces rayons gamma, les astrophysiciens ont pu montrer que la quantité de lumière fossile est bien plus basse que celle admise jusqu'ici. Ce résultat, publié dans la revue Nature du 20 avril, a d'une part des conséquences importantes quant à notre compréhension de la formation et de l'évolution des galaxies, et d'autre part élargit l'horizon du monde visible en rayons gamma de très haute énergie.


A voir aussi : L'histoire des rayons gammas ; comment ils peuvent nous renseigner sur la nombre d'étoiles dans le ciel.

Rayons gamma : Le rayonnement gamma est constitué de photons, comme la lumière visible ou le rayonnement X, mais il est beaucoup plus énergétique. La lumière visible a une énergie de l'ordre de un électron-volt (1 eV). Les rayons X ont une énergie de mille à un million d'eV. H.E.S.S. détecte des rayons gamma de très haute énergie, atteignant un million de millions d'eV (Tera-électron-volt). Ces gamma de très haute énergie sont peu nombreux : même pour une source astrophysique relativement intense, le flux de photons gamma pénétrant dans l'atmosphère est d'environ un par mois et par mètre-carré.

Quasars et galaxies actives : La très grande majorité des galaxies semblent abriter un trou noir supermassif (allant de quelques centaines de milliers à des centaines de milliards de masses solaires) en leur centre. Pour certains ce trou noir est « actif » : il avale la matière gazeuse de ses environs et projette un plasma (un mélange d'électrons, protons et champs électromagnétiques) à des vitesses proches de celle de la lumière dans le cosmos sous forme de jets, ces derniers pouvant atteindre des longueurs plusieurs centaines de fois celle de la galaxie elle-même. Lorsque le jet pointe dans la direction de la Terre, le rayonnement émis par les particules ultrarelativistes du plasma est très amplifié et la source est classifiée en tant qu'un « blazar ». L'émission de ces sources peut s'étendre des ondes radio jusqu'aux rayons gamma dans le domaine du TeV et montre une variabilité importante à la fois en amplitude et en distribution énergétique. Les deux objets découverts par H.E.S.S. font partie de cette classe.

Spectre du blazar 1ES 1101-232

Spectre en énergie du blazar 1ES 1101-232 mesuré par H.E.S.S. La distribution énergétique (« spectre ») des rayons gamma effectivement détectés est donnée en rouge. Les points bleus montrent la distribution originale de l'émission à la source pour différentes hypothèses quant à la densité des photons du fond diffus. Pour un niveau élevé (figures gauche et centre), le spectre initial calculé serait très différent de celui typique de cette classe de sources. Pour un niveau plus faible (à droite) le spectre intrinsèque est bien plus compatible avec les propriétés intrinsèques de ce type de quasar. (image plus grande) (version PDF)


Contacts :

Dr. Luigi Costamante &
Dr. Felix Aharonian
Max-Planck-Institut fuer Kernphysik
Saupfercheckweg 1
69117 Heidelberg, GERMANY
Tel +49 6221 516470 &
     +49 6221 516485

Dr. Michael Punch
AstroParticule et Cosmologie
Collège de France
11 place Marcelin Berthelot
75231 Paris Cedex 05, FRANCE
Tel +33 1 4427 1545

Dr. Berrie Giebels
Laboratoire Leprince-Ringuet
Ecole Polytechnique
Route de Saclay
91128 Palaiseau, FRANCE
Tel +33 1 6933 3958

La quête de l'histoire de l'émission de lumière dans l'Univers : La lumière émise par tous les objets dans l'Univers tout au long de son histoire (étoiles, galaxies, quasars...) emplit l'espace intergalactique comme un océan de photons appelé « fond de lumière diffuse extragalactique » (EBL en anglais). Depuis longtemps les chercheurs essayent de mesurer cette trace fossile de l'activité lumineuse de l'Univers, mais sa mesure directe reste difficile du fait de la domination d'autres sources de lumière dans le ciel (poussières chauffées du système solaire) et de par les limitations des instruments. Les rayons gamma de très haute énergie offrent une méthode alternative pour sonder et mesurer de manière indirecte cette lumière diffuse extragalactique. Ayant comme objectif d'effectuer cette mesure, les scientifiques de la collaboration internationale H.E.S.S. ont entrepris l'observation de plusieurs quasars lointains (les sources de rayons gamma de très haute énergie les plus brillantes du ciel connues jusqu'à ce jour, voir l'encadré) et les résultats obtenus sont assez frappants.

Le brouillard de photons intergalactiques : Quand les rayons gamma très énergétiques (voir le dessin ci-dessous) heurtent la lumière proche du visible, de la matière peut être produite, comme cela est prédit par Einstein (une paire électron-positon dans ce cas). Un faisceau de rayons gamma issu d'une galaxie lointaine est ainsi atténué lors de son périple ver la Terre, du fait des collisions avec les photons de la lumière diffuse. L'effet d'absorption étant plus fort pour les rayons gamma les plus énergétiques, le spectre initial des gamma est « rougi » — de manière quelque peu analogue au rougissement du soleil au coucher où la lumière bleue est plus diffusée par l'atmosphère que la lumière rouge. Comme le rougissement dépend de l'épaisseur de l'absorbeur (la densité des photons diffus dans ce cas), la mesure spectrale autorise une estimation de celle-ci.

Mesure de la densité du brouillard intergalactique : « Le problème principal est que la distribution énergétique des rayons gamma émis par les quasars peut avoir des formes très différentes : on ne pouvait pas affirmer si le rougissement observé d'un spectre gamma était dû à un effet d'absorption intergalactique ou si il était intrinsèque à la source elle-même », explique Dr. L. Costamante, un des chercheurs impliqués dans cette découverte. Mais les spectres gamma de ces quasars (référencés H 2356-309 et 1ES 1101-232 dans les catalogues), qui sont plus lointains que les sources connues précédemment et ont été découverts grâce à la sensibilité inégalée des télescopes H.E.S.S., montrent une caractéristique très précieuse : ils sont trop « bleus » (càd qu'ils comportent trop de rayons gamma aux hautes énergies) pour être compatibles avec le rougissement fort qu'impliquerait une forte densité de lumière intergalactique. A moins de faire appel à des scénarios très exotiques, la conclusion la plus vraisemblable est que le niveau de lumière fossile est significativement plus bas que ce que l'on pensait auparavant.

Étendre l'horizon de visibilité gamma de l'Univers : La limite maximale sur la densité de la lumière diffuse déduite des données de H.E.S.S. est en fait très proche des valeurs minimales que l'on peut estimer en faisant la somme de la lumière des galaxies que l'on voit avec nos télescopes optiques (par exemple avec Hubble). Ainsi une réponse est apporté à une des questions épineuses qui préoccupe les chercheurs depuis quelques années : La lumière diffuse est-elle produite principalement par l'émission des toutes premières étoiles nées dans l'Univers, quand celui-ci n'avait que quelques millions d'années ? Le résultat obtenu par H.E.S.S. semble exclure une telle possibilité et laisse aussi peu de place pour une contribution importante qui proviendrait d'autres sources que les galaxies normales.

Un espace intergalactique plus transparent ouvre de nouvelles perspectives pour l'étude des sources gamma en dehors de notre Galaxie et les chercheurs de H.E.S.S. continuent d'explorer le ciel gamma sur de plus grandes distances encore.

Cartoon of EBL effect

Illustration de l'effet de la lumière diffuse (EBL, voir texte) sur les rayons gamma provenant d'un quasar lointain, avant leur arrivée sur Terre. Une fraction des rayons gamma sont absorbés lors des collisions avec les photons du EBL, qui est produit par toutes les étoiles et les galaxies de l'Univers. Si la densité des photons du EBL est grande (figure du haut), l'absorption est grande et les rayons gamma les plus énergétiques sont perdus. La distribution de l'énergie des rayons gamma (ou spectre) est alors fortement modifiée. En revanche si la densité est faible (graphe du bas), l'absorption est moindre et le spectre observé n'est que peu modifié. (image plus grande) (version PDF)

Notes sur H.E.S.S.


La collaboration H.E.S.S. : Les télescopes H.E.S.S. (High Energy Stereoscopic System, système stéréoscopique de haute énergie) sont le résultat de plusieurs années d'efforts par une collaboration internationale de plus de 100 scientifiques et ingénieurs en provenance d'Allemagne, France (voir encadré), Grande-Bretagne, Irlande, République tchèque, Arménie, Afrique du Sud et du pays hôte, la Namibie.

L'instrument a été inauguré en septembre 2004 par le Premier ministre de Namibie, Theo-Ben Gurirab, et les premières observations ont déjà permis de nombreuses découvertes importantes, dont la première image astronomique résolue d'un reste de supernova en rayons gamma de haute énergie. La France participe à son financement à hauteur d'un tiers.

Le détecteur : L'expérience H.E.S.S. située en Namibie, dans le sud-ouest de l'Afrique, utilise quatre télescopes de 13 m de diamètre qui forment actuellement le détecteur de gamma de très haute énergie le plus sensible au monde. Les rayons gamma qui pénètrent dans l'atmosphère génèrent une cascade de particules. Ces particules émettent un flash, ne durant que quelques milliardièmes de seconde, de lumière bleue peu intense, appelée lumière Tcherenkov. Cette lumière est réfléchie par des miroirs de 107 m2 puis enregistrée par des caméras ultra-sensibles. Chaque image donne la position dans le ciel d'un photon gamma, et son énergie. Les objets célestes émettant un rayonnement gamma sont cartographiés avec H.E.S.S. à partir des directions d'arrivée dans le ciel de chaque photon gamma.

Projet à venir : Les chercheurs impliqués dans H.E.S.S. sont en train de continuer à améliorer le système de télescopes installé en Namibie. La construction d'un télescope central de plus de 30 m de hauteur est en cours, avec la participation de nouvelles équipes européennes comme celle de la Pologne. Le dispositif plus performant, appelé H.E.S.S-II, sera plus sensible et couvrira une gamme d'énergie plus large permettant ainsi aux chercheurs de H.E.S.S. de détecter des rayons gamma en provenance de quasars encore plus lointains.

Les laboratoires français de la collaboration internationale H.E.S.S. sont les suivants :
Laboratoires du CNRS/IN2P31 :
• LLR (Laboratoire Leprince-Ringuet) Ecole Polytechnique, Palaiseau,
       http://polywww.in2p3.fr/
• APC (AstroParticule et Cosmologie) Université Paris VII Denis Diderot, Paris
       http://www.apc.univ-paris7.fr/
• LPNHE (Laboratoire de Physique Nucléaire et de Hautes Energies) Univ. Paris VI-VII, Paris
       http://www-lpnhep.in2p3.fr/
• LPTA (Laboratoire de Physique Théorique et Astroparticules) Université de Montpellier II
       http://www.lpta.univ-montp2.fr/
• LAPP (Laboratoire d’Annecy-le-vieux de Physique des Particules) Université de Savoie, Annecy
       http://lappweb.in2p3.fr/
Laboratoires du CNRS/INSU2 :
• CESR (Centre d’Etude Spatiale des Rayonnements) Université Paul Sabatier, Toulouse
       http://www.cesr.fr/
• LAOG (Laboratoire d’Astrophysique de l’Observatoire de Grenoble) Université Joseph Fourier
       http://www-laog.obs.ujf-grenoble.fr/
• LUTH (Laboratoire Univers et Théories) Observatoire de Paris, Meudon
       http://luth2.obspm.fr/
Laboratoire du CEA/DSM3 :
• DAPNIA (Département d’Astrophysique, de physique des Particules, de physique Nucléaire et de l’Instrumentation Associée), Saclay
       http://www-dapnia.cea.fr/
Notes :
(1) IN2P3 : Institut National de Physique Nucléaire et de Physique des Particules
(2) INSU : Institut National des Sciences de l'Univers
(3) DSM : Direction des Sciences de la matière
   Dapnia : Département d'astrophysique, physique nucléaire et instrumentation associée
Photograph of the H.E.S.S. telescopes