Combien d'étoiles dans le ciel ? Vieille question, à laquelle l'astronomie gamma donne sa version des faits.

Si l'Univers est infini, et qu'il contient un nombre infini d'étoiles, alors pourquoi la nuit est-elle noire ? Ne devrait-il pas y avoir des étoiles partout ? Cette ancienne question est connue comme étant le paradoxe d'Olbers, et la réponse est reliée au fait que l'Univers visible n'est pas infini, qu'il a un âge déterminé, et qu'il n'y a qu'une quantité déterminée d'énergie qu'il est possible de convertir en lumière dans les étoiles. La question est de savoir quelle quantité de lumière d'étoiles est présente dans l'Univers, car elle nous donne une information sur l'histoire de la formation des étoiles. Après le Big Bang, l'Univers s'est étendu et refroidi rapidement; puis, la matière s'est lentement condensée sous l'attraction gravitationnelle. Quelque 100 millions d'années après le Big Bang, des étoiles se sont formées et ont commencé à remplir l'Univers — jusqu'alors obscur — de lumière. La densité des étoiles dans l'Univers, et la durée pendant laquelle elles brillent, influent sur l'intensité totale de lumière issue des étoiles observables aujourd'hui. Cette intensité est donc une observable clé pour les cosmologistes qui essayent de déchiffrer l'histoire de l'Univers et son évolution.

Mais il y a une difficulté : la quantité de lumière cosmique mesurée depuis la Terre, ou par des instruments embarqués sur satellite, est issue majoritairement du rayonnement de poussières dans notre système solaire, et d'objets proches dans notre Galaxie. Elle n'est pas du tout représentative de la lumière qui baigne l'espace inter-galactique et les grand volumes de l'Univers. C'est un peu comme d'essayer de voir les étoiles en plein jour sur Terre par une journée ensoleillée : leur lumière est certainement là, mais celle provenant du Soleil est diffusée et les cachent dans le ciel bleu. Une approche à ce dilemme serait d'estimer exactement combien de lumière est produite localement et contamine celle qu'on veut connaître, pour ensuite soustraire cette quantité à la mesure. C'est un travail énorme, car dans certaines longueurs d'onde du moins il y a plus de 99% de contamination !

Il faudrait en fait mesurer la quantité de lumière dans l'espace entre les galaxies, loin de toute « pollution » locale. Ceci peut sembler impossible, mais l'astronomie gamma permet astucieusement de faire exactement ceci, en utilisant les faisceaux de rayons gamma issus des galaxies « actives » lointaines (nommés « Blazars ») qui se propagent au travers de ces grands espaces vides remplis de la lumière fossile, pour parfois arriver sur Terre. Ces rayons gamma sont issus du coeur de ces galaxies, où des trous noirs très massifs (des milliards de masses solaires) avalent des étoiles proches et convertissent une partie de la masse ainsi accrétée en faisceaux de rayonnement de très haute énergie. L'énergie de ces rayons gamma — quelque 100 000 000 000 fois plus énergétique que la lumière visible — est tellement élevée que parfois, quand elles heurtent un photon de lumière stellaire, elles peuvent créer de la matière sous forme de paire d'électrons et positons. Ceci résulte de la fameuse équation d'Einstein, E=mc2, qui donne l'équivalence entre l'énergie et la matière. Ce processus absorbe des rayons gamma contenus dans le faisceau, et plus le rayonnement gamma est d'énergie élevée, plus il a de chances d'être absorbé car cela facilite la création de matière. Pareillement, plus la lumière d'étoiles est intense, et plus ces collisions ont une chance de se produire. En mesurant l'intensité des rayons gamma des Blazars en fonction de leur énergie (communément appelé leur « spectre »), on peut identifier la signature de telles absorptions, et ainsi conclure sur l'intensité de la lumière des étoiles qui ont causé cette absorption.

Les rayons gamma de haute énergie sont détectés avec des instruments appellés télescopes à effet Cherenkov, qui enregristrent les images des cascades de particules secondaires que créent ces rayons gamma quand elles entrent dans la haute atmosphère. Parmi les plus avancés de cette classe de détecteurs il y a le High Energy Stereoscopic System (H.E.S.S.) situé dans le Khomas Highlands en Namibie. H.E.S.S. a été construit et est utilisé par plus de 100 scientifiques des pays suivants : Allemagne, France, Royaume Uni, Irlande, République Tchèque, Arménie, Afrique du Sud et Namibie. Dans les données prises depuis 2004, les scientifiques de H.E.S.S. ont découvert des rayons gamma issus de deux Blazars lointains, situés a une distance de quelques milliards d'années lumière, comme cela a été annoncé dans un article paru dans le journal Nature le 20 avril 2006. Ces objets, connus dans les catalogues sous les doux noms de H 2356-309 et 1ES 1101-232, étaient initialement détectés dans des mesures en rayons X et en radio. Au vu de leur distance, il était attendu que leurs rayons gamma seraient très fortement absorbés au-dessus d'une certaine énergie que H.E.S.S. peut mesurer. Mais il se trouve que les spectres observés ne montrent pas, ou alors très peu de cette absorption attendue, suggérant fortement que l'intensité de la lumière stellaire, dans les longueurs d'onde du proche infra-rouge, qui aurait dû absorber les rayons gamma, est bien moins élevée que celle qu'on supposait jusque là. Les galaxies visibles dans les longues poses du télescope spatial Hubble rayonnent la totalité de la lumière stellaire inter-galactique permise par les mesures de H.E.S.S., et donc ces images nous montreraient toutes les sources possibles de lumière stellaire jusqu'au Big Bang ! Ces mesures excluent clairement des hypothèses évoquées jusque là selon lesquelles les toutes premières étoiles — nommées étoiles de population III — auraient générées un pic d'intensité visible dans la lumière proche-infrarouge mesurée depuis la Terre. Celle-ci serait donc en fait une imperfection dans la soustraction évoquée plus haut.

H.E.S.S. est à l'origine d'un nombre important de découvertes en astronomie gamma de haute énergie, de par la découverte de nouvelles sources dans notre Galaxie et d'autres situées beaucoup plus loin, et a effectué un profond changement dans ce domaine. Les nouveaux résultats de H.E.S.S. illustrent la puissance de l'instrument pour l'astronomie extra-galactique et la cosmologie. La découverte décrite ici, que l'intensité de la lumière inter-galactique est bien moins élevée qu'il n'était cru auparavant, a pour conséquence que l'Univers est aussi beaucoup plus transparent aux rayons gamma, accroissant ainsi l'horizon de ce champ de l'astronomie, et augmentant la possibilité de nouvelles découvertes !